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jeudi 22 décembre 2016

Mort d’un chien


Aujourd’hui le chien est mort. Hier Germaine l’a ramené, porté dans ses bras. Ce chien-là, il n’avait plus beaucoup à vivre. Son regard c’était ce tremblement infini et par instants cet effort d’espérance : tenir encore, avancer coûte que coûte. On aurait dit un marathonien exténué à la fin du parcours, presqu’à la fin du parcours mais - pour qui, on ne sait pas - le marathonien continue coûte que coûte, peu à peu se disloquant, les membres déjetés, la souffrance invraisemblable d’être ainsi portée à bout, les muscles tétanisés. Une torsade vivante, pour ne pas craquer déchirée à vif, s’effondre enfin terrassée par la misère. Vaincue coûte que coûte.
Mais pour un chien, pour qui tenir ? Aucun orgueil.

Hier alors, le chien allait mourir. La certitude, c’est ce qui nous fait devenir spectateur. Il suffisait d’attendre et aujourd’hui on en a fini avec ce chien tremblé, avec ces raidissements soudains et le gel qu’on ne peut pas réchauffer.
Je ne sais pas ce que c’est mourir puisqu’il s’agit d’un chien et qu’on ne capte nulle pensée au gré des tressaillements ; le long de leurs courbes se greffent nos mots : froid, nerfs, muscles, maladie, usure - mais pas la peur. Même au fil de ses yeux, la peur absente.
C’en est fini ce matin. Je ne sais pas pourquoi Rémi m’a laissé ce mot, avant de partir à la chasse : « J’ai trouvé Follette morte ce matin. » Pour lui ou pour moi ?

***
L’automne est peut-être une saison où meurent les chiens. Mais c’est une saison particulière cette année. J’ai tenté de vivre ici, à observer les abeilles et le travail qu’elles fournissent, à marcher entre les pattes humides des chiens et à entendre sans broncher leurs gémissements et leurs voix rauques. On ne fait pas taire un chien qui décide d’être un chien. Ou alors, on se poste face à lui, la mine et le bâton menaçants ; tremblant, le chien muet recule sous sa niche et attend le coup, les yeux mouillés.
Les aboiements sans fin, raffinés de tant de nuances et l’attente ainsi postée durant des heures derrière la grille... même les chiens un jour refusent l’alternative. Ils meurent. S’abandonnent. Veulent toujours s’échapper. Même si tête basse, invariablement, ils réintègrent la grille, ils creusent la terre pour caracoler au cul des lapins. Ou ils jouent les marathoniens, à en crever.

***
Alors qu’un chien se mourait, les fleurs, en plein soleil, leurs largesses étalaient : parfums, arcs-en-ciel, papillons... Les vacillements de l’air propageaient leurs couleurs, une onde de jaunes jouait la vague et d’un pétale s’envolait une aile. Presque jusqu'à la rivière les phasleïas proposaient leur miel aux abeilles.
Un miel violent aux couleurs des violettes.
L’automne est une saison où meurent les chiens et le ciel couvre de son lait le chien, son silence et la crête des fleurs. Je suis là, et je sais, attentive, que cela m’a longuement manqué et longuement me manquera.
Ce matin, les aboiements assoiffés du Petit me transpercent les tympans. L’écho des fusils le réveille, il sent que le lièvre est à lui et pas cette cage. Quel mot pourrais-je griffonner à Rémi : « On ne peut bâillonner le Petit. Mes oreilles sont fatiguées de cela. » ?

***
Quand je suis venue ici la saison dernière, me planter au milieu de tout ce qui s’absentait de ma vie, j’ai embrassé le tout et j’ai rêvé m’y faire. Cela naissait de très loin, ce n’était pas une peine de s’y glisser et de s’en nourrir. Les champs, les chiens et les abeilles, Rémi au centre de ce clos, accordé debout ou penché vers la terre, c’était là où être puisqu’il n’y avait nulle part ailleurs.

***
Sur un livre hasardée, une abeille se frotte les pattes avant de s’envoler pour le charbon... il est vrai que je me suis installée au centre des fleurs, incongrue ici où je n’offre à butiner que des mots, des pages et des cendres.

Cette nuit, la mort de mon père, en rêve. Les nuits ont de ces raccourcis ! C’était au tour du chien...

Chat-Mot se cherche un nid ; le soleil en est un pendant que l’Idiot, autre chat autres mœurs, batifole sans doute en quête d’une femelle introuvable : ce n’est pas la saison et ce n’est plus son pouvoir ; amoindri, ce chat a des restes d’instinct qui lui jouent des tours.

Pourquoi ne pas s’implanter là, à l’abri d’un clocher et d’une réserve de bois ? Les heures se prouvent d’elles-mêmes levées du vol désordonné des oiseaux, du bourdonnement des corolles et de la somnolence enfin venue des chiens... C’est l’heure du repos, d’une présence pleine, parenthèse extasiée où vivre serait une erreur.
Les yeux naviguent d’une vie supposée à l’autre sans cesser de plonger. Tout vibre d’un mouvement perpétuellement pacifié et les sens un par un entremêlés distinguent leur pâture. Tout est bon de gourmandise. Tout prendre et ne rien laisser sauf au hasard ce charnier qu’est un jardin où vivre tire sa substance de morts saisonnières. Débris, lassitude, herbes mauvaises... cela pour une victoire si légère...
Non. Prendre tout, à pleines dents, même le charnier, comme le chat la souris.
Mais quel mot sur la table laisserai-je à Rémi ?

***
Refuser de baptiser ce rêve c’est me séparer du soleil et de la mort du chien, cesser la course aux étoiles au bleu roi du désir.
Déchirer ce par quoi le vrai malheur arrive : l’illusion d’un bonheur.
Sinon, ce serait croire que la parenthèse, à elle seule est une phrase.

La mort d’un chien évoque tout sauf le chien. En pleine nuit, le chien - d’ailleurs ce chien était une chienne - s’est éclipsé...

***
Revenue en ville, je n’ai que Germaine en bouche : seule sur la terre retournée, au beau milieu d’un champ, avec à l’horizon des fleurs mellifères - dont le nom m’échappe à présent.
Germaine, voilà des années, combien ? (Germaine ne sait pas compter ni lire ni écrire) Germaine a perdu son alliance « par là » montre-t-elle. Elle pointe son doigt « par là », et de ce doigt on ne retient que la bague énorme qu’elle ne pourra plus jamais retirer. Les doigts enflés même si trop maigres.
L’alliance, elle n’a pas fini de la chercher mais Germaine, c’est un oiseau ; attendri par les chats. Son chat. Rarement un chat s’est vu tant dorloté, on en rit sous cape en entendant le doux marmottement de Germaine s’adressant à son chat. Un vrai rébus. Un mélange d’équations et de formules chimiques émaillé de bulles de B.D.

Est-ce que je pourrais apprendre à vivre, auprès de Germaine ? Quand elle chante on prend sa peine entre les doigts et on la filtre. On en oublie de partir en guerre. Tout s’écoule dans la torpeur des songes : suivre Molloy sur son vélo et témoigner du monde comme un regard seulement du bout des doigts.

***
La nuit se dépose brindille à brindille. Est-ce que les abeilles travaillent la nuit ? Est-ce qu’elles retiennent encore un peu de ciel, un peu d’or ?
C’était la même nuit quand Rémi a enterré le chien, auprès du poirier et auprès d’autres chiens encore. « C’est dix ans d’une vie » a-t-il conclu. Celle des tonnes de terre à soulever pour que le moindre geste soit un geste. Et personne à sa place ne peut pelleter la terre.
Le chien ne sait rien des pensées qui s’agitent. Usé par la chasse, les renards traqués, épuisé par les ronces. Traqué lui-même.

Pas loin du trou aux chiens, on aurait pu voir l’alliance briller si on avait regardé alors de ce côté-là. René a laissé la bêche, je lui ai pris la main et personne n’a jamais reparlé de Follette.

***
Assise, à l’étage, sur le rebord de la fenêtre, je fume et j’attends le retour du chasseur. Je surplombe les fleurs, le ciel même et presque le bruit des voitures un peu plus loin.
Pauvre chien qui ne cesse de gémir. Je ne sais pourquoi celui-là n’est jamais plus convié au carnaval des lapins.
Ce matin, alors que la lumière frôlait la table en bois, le bol de café sur la table en bois et les tartines de miel, l’Idiot miaulait derrière la vitre, un mulot entre les dents. Comme s’il s’agissait que nous déjeunions de concert, chacun selon nos us et coutumes et chacun respectant pacifiquement la sauvagerie de l’autre.

***
Rémi ressemble à sa maison ; dans chacune des pièces et jusqu’au grenier, les armoires sont remplies d’objets, de papiers, de draps, de photos. On peut remonter très loin dans le temps à force de fouiller dans les tiroirs et au fond des étagères. C’est de l’histoire empilée là au hasard et qui meurt de ne pas mourir. Plusieurs générations ont vécu là dans le silence respectif et codé, on peut retrouver chacun à travers quelques objets particuliers mais sans lien entre eux : une alêne de cordonnier, un crucifix, une boîte à couture, un livre de comptes...
Même disparus ou en-allés, les gens de cette maison ont gardé leur place, on ne les a pas enterrés vifs avec tout l’arsenal de leur vie. Leurs absences même, pour les rares qui ont connu d’autres lieux, leurs absences ils les ont déposées là : carnets d’Allemagne et lettres à une femme. Poésie si maladroite que je me demande si les sentiments traduits ne sont pas eux aussi des imitations maladroites.
La maison c’est comme une grange ; on y entasse, on l’approvisionne, on y dort - mais c’est dehors que la vie prend forme, naît et meurt.

***
Midi et demie. Le vieux doit s’être encore perdu dans les garennes. Il ne lâche pas le lapin et n’entend pas les appels des chasseurs ; la vieillesse a de bienheureuses surdités, elle poursuit son gibier sans relâche, sans aucune curiosité pour tout ce qui n’est pas son objet. Ce chien est un îlot de sagesse.
Rémi ne comprend pas que je puisse rester à la maison le matin et que je ne m’y ennuie jamais.

Il y a du soleil sur le lit ; je me glisse dans cette chaleur dorée et c’est à peine si le vent m’atteint. Peut-être finirai-je par devenir un chat livré au bonheur indifférent de tous les sens.

***
La fleur à l’intérieur du ventre s’épanouit à jamais. Tous les gestes d’avant, sous la corolle des jours et des nuits se sont fanés. Rémi a remis à l’eau son bateau et à nouveau s’est attelé à la course aux essaims. Ses nuits, par le sel de tous les gestes à inventer pour ne pas mourir et ne pas céder, sont rongées. Ne pas fermer les yeux de la nuit, c’est refuser le flot des parfums et la forme des galets au creux de la main.

Je suis partie, laissant là les chats, la morsure et le rebord de la fenêtre. Je sais et ce savoir est un poison que cela m’a longuement manqué et longuement me manquera. Ce goudron emmaillote le cœur et alourdit le sang, pèse tout son poids d’athlète sur les papillons des sens.
Tous les animaux des bords de l’Aulne rôdent autour de moi, et m’épient.

1988-89 ?

vendredi 16 décembre 2016

MV

Marguerite Vargas avait 44 ans quand elle se mit à penser. Ce fut bref et éphémère.

Assise chez elle, à la table de cuisine, devant un café refroidi, elle se sentit tomber dans le vide, ou happée par le vide, avec cette conscience aiguë de ne pouvoir atterrir quelque part ; le sol était jonché de morceaux de verre brisé. Ce fut une sensation «longue» et très précise. Elle réussit à s’en défaire en se levant très lentement et en consacrant dix minutes à un gommage de ses jambes. Le reste de sa journée se déroula sans accroc.

Le lendemain, c’était un mardi. Marguerite Vargas était mariée et ses enfants avaient quitté la maison depuis quelques années pour poursuivre leurs études ou leur vie. Peu importait se dit-elle. Cette pensée la choqua. Elle jeta un regard vers un assemblage de photographies familiales et la même pensée revint à la charge face à ces photos. Elle se vit brièvement elle aussi, plus jeune, épanouie apparemment. Ce fut comme un malaise, vague. Elle chercha autour d’elle une cigarette. Elle n’avait jamais fumé jusqu’alors. Il était grand temps de partir au travail ; elle attrapa son sac à main, rectifia son rouge à lèvres et pour ce faire se vit dans le miroir du vestibule. Son trouble ne la quitta pas durant le trajet, dix kilomètres environ, une dizaine de minutes sans compter les arrêts aux feux rouges.

Le mercredi matin, elle se réveilla enjouée, débordante d’énergie. C’était son jour de congés. Heureusement. Le magasin ne désemplissait pas de mères et d’enfants assez impatients en général. Cela faisait cinq ans qu’elle avait pu déserter ce jour là et se consacrer à elle-même. Le mercredi matin, c’était donc aussi le moment où elle faisait durer le petit déjeuner, en écoutant très attentivement la radio. Ce matin là, insensiblement, elle se sentit glisser à l’extérieur d’elle. Son énergie intacte flottait au-dessus d’elle, comme un soleil un peu trop haut, un peu trop intense et irrémédiablement inaccessible. Hébétée, elle la regarda de façon étrange avant de se rappeler que sa fille venait manger avec elle à midi. Elle se consacra aux préparatifs du repas d’une manière méticuleuse, concentrée et s’aperçut qu’elle sursautait au moindre bruit. Quand sa fille sonna à la porte d’entrée, Marguerite Vargas aurait voulu ne pas être là. Le soir, elle se coucha tôt, non qu’elle soit fatiguée de sa journée ; elle était vidée comme une plage à marée descendante. Ce que la mer recouvre était là mis à nu. Quand son mari la rejoignit, vers 22 heures, Marguerite Vargas faisait semblant de dormir.

Abasourdie par les bavardages des clientes, elle décida le lendemain midi de s’offrir un temps mort au café de l’Epée. Le temps s’était alourdi, l’orage menaçait, Marguerite le savait à l’odeur qui plombait la salle du café et à cette sorte d’anxiété qui déposait son galet jusque dans son estomac. En début de soirée, elle reconnut les pas de son mari monter allègrement les escaliers. Elle eut à peine le temps de passer son verre sous le robinet et de se rincer la bouche. Elle se retourna promptement, les mains pressées sur le rebord de l’évier et accueillit son époux d’un sourire. L’orage n’avait pas encore éclaté. Elle n’avait pas pensé à préparer le dîner et les magasins, à cette heure, étaient tous fermés.

Le dernier jour, ce qui la surprend c’est une ébullition incontrôlée au bas-ventre. Qu’il faut absolument contrôler. C’est comme si tous ses globules rouges grouillaient, accéléraient leurs mouvements. Son corps tout entier devient un haut fourneau dans lequel a lieu un échauffement extrême, une ébullition, une éruption volcanique dont on ne distingue rien, que du blanc. Que du fer-blanc, à l’extérieur. Alors qu’en elle, tout ce sang, ces globules affolés, ce métal se tordent, se métamorphosent, se heurtent comme les voitures sur les pistes d’auto-tamponneuses. Et elle, debout, les mains plaquées au ventre, le visage livide, les jambes dérobées, elle est en train de perdre les eaux, d’accoucher là sur un carrelage de cuisine, de perdre la tête, la boule, de recueillir entre ses doigts un monstre, un cauchemar vivant, un entrelacs de cheveux, de glaires et de chairs, un alien pathétique et sa gorge se resserre, se ferme sur des cendres, des amas de sable, des sensations de gravillons et le cri qui s’enlise là, à l’agonie, s’entête à exploser ailleurs dans son crâne, son ventre et pousse, pousse ce qu’il trouve d’embûches, d’obstacles, de réticences. Et cela dans un silence, un scandaleux silence. Si digne n’auraient pas hésité à souligner les observateurs, si livide hurle Marguerite son corps entre les mains et sa vie en-allée. Ne reste que son enveloppe un peu translucide, purement vide et un paquet sanglant, à terre, encore palpitant : un cœur, un foie, un cerveau ? Ce qu’il y a dans cette cuisine, c’est le résultat d’une implosion, d’une souffrance infâme ; ça ressemble à un court-métrage fantastique, à une séquence gore et ce n’est que la banale et surprenante folie de Marguerite Vargas, corps et esprit, matières et rêves, enfances et illusions. Tout a pris feu, tout a volé en éclats, tout en cinq jours a légèrement bougé et ce léger là, ce tremblé, ce glissé, à l’échelle de Marguerite, a les mêmes résultats qu’un infime glissement de plaques tectoniques sous une Afrique sub-saharienne. De telles éraflures de terrain transforment un paysage.

A la fin de cela qui a eu lieu, Marguerite se souvient d’une visite à Marie-Galante en janvier 1990. Le car de touristes longeait une plage superbe, que Marguerite s’extasiant, avait trouvé très typique sans doute des Caraïbes quand le chauffeur leur expliqua que cette plage n’existait pas voici un mois seulement, que ces messieurs-dames voyaient là sous leurs yeux un exemple de ce que Hugo le cyclone avait produit. Oui, Hugo déplaçait des paysages, il en détruisait et il en charriait d’autres ailleurs. On parlait beaucoup des habitations détruites et en folie, des marinas déboussolées et des bananeraies couchées, mais voyez ce que ces messieurs-dames admiraient en ce moment, c’était la nouvelle plage de Marie-Galante, la fille magique du Seigneur Hugo !

Mais, là du sol de sa cuisine, Marguerite ne devine pas son ailleurs à elle. Où se trouve transportée sa plage de sable blanc ? La déflagration muette qu’elle vient de subir sur pieds a tout détruit, l’ici et l’ailleurs. Ce n’est pas la peine de chercher la plage de sable blanc, ce que le Seigneur Hugo a pu faire, Marguerite ne le peut pas. Cela qui gît au sol n’est ni mort ni vivant ni rien. Cela est laid, Marguerite ne veut pas le prendre dans ses bras, ni le bercer, ni le regarder, cela ne peut être de moi observe-t-elle et cela n’est pas moi déclare-t-elle en fixant l’enveloppe translucide encore debout sur le carrelage, comme voilée. Et Marguerite se rend compte, effrayée, lucide qu’elle observe ces deux objets, ces deux formes, ces deux silhouettes vivantes et mortes qui sont elle et qui ne sont pas elle et la posent si clairement extérieure à tout cela, même à ce qui vient d’avoir lieu, même à la souffrance à l’intolérable au silence…

 

Le 8 juin, Marguerite passe sa tête dans le nœud coulant des draps encordés. C’est la première fois qu’elle en réussit un du premier coup. Elle se pend, le corps face au jardin, le visage tourné vers le cèdre. Au cas où peut-être un dernier regret…

Madame Martin, la femme de ménage découvrit le corps, en arrivant à 9h30. Elle n’était pas hystérique et fit donc ce que son sens pratique lui dictait. Les visiteurs qui le lendemain vinrent assister le mari de Marguerite la trouvèrent belle, épilée et morte.

Lyon 6

ça rassure de se dire ce n’est pas le hasard pas le hasard qui nous a fait ainsi c’est-à-dire sans rien ni poids ni geste ainsi cela veut tout dire le dit. Ça rassure de se dire qu’ un destin lequel peu importe mais pas cette gratuité qui se pose légèreté hasard sur une épaule et qui dit toi hasard tu vas souffrir c’est ainsi tu porteras le mal et la douleur où tu diras le mal et la douleur iront l’ennui surtout coulé dans l’air le vent l’ennui partout où tu iras tu n’y peux rien à traîner tes pieds un jour tu oublieras d’avancer tes yeux loin ne se poseront plus jamais divagueront tu croiras sans doute c’est pour mieux voir tu croiras à force de fixer ton œil fixera enfin tu croiras pouvoir parler te taire choisir mais pur hasard d’aucun sens d’aucun destin le poids du monde et l’oubli ce n’est pas la même qui marche et qui dit. Tu diras il n’y a pas de hasard si les astres la magie, jetée aux orties il le faudra pas de hasard non un doigt qui t’a choisie pour vomir la mer haïr et tuer sans lever un doigt sans vouloir sans choisir c’est comme ça choisie ça rend fort d’être choisie même si c’est pour souffrir mais d’être choisie volontairement par qui peu importe douteux n’existe pas se réveiller chaque matin chaque matin mortelle pas de secours pas d’issue mortelle c’est pourtant simple comme les autres choisis pour vivre et toi choisie pour pleurer vomir la mer ses cadavres son absence sa beauté traître indifférente seulement là à frapper à gifler la pierre

Je me demande d’où ça vient les mots qui piétinent et la pierre qui entrave ça doit venir de loin d’avant ça vomira peut-être loin aussi après ça t’entraîne au fond ça te tient debout aussi ça rassurerait de se dire ce n’est pas du hasard on a sa porte à ouvrir sa vie à tuer chacun aurait son lot l’un à crever la faim l’autre l’ennui ça enlèverait la douleur fort de sa faim de son ennui de la honte aussi puisqu’ imposée on se dirait c’est mon lot je dois le gagner jusqu’au bout

je me demande d’où ça vient ce mal il faudra bien s’y ramasser s’y vomir en son entier ne plus rien douter ni demander ni soupçonner seulement s’y lover terre à terre coller au cercle au plus près coller au hasard se vider se ramasser sous le doigt se faire petit obéir continuer à remuer sans poids sans un geste à remuer terre à terre

Lyon 5

Cela revient jamais indemne jamais même, ainsi le soir ainsi chaque nuit à force de fixer les mots je suis assise à cette place et m’y enfonce sauf peut-être moi-même et ce qui existe, derrière, un mot, au-delà de lui mais cela revient l’exacte réalité, le poids de choses réelles. Hors de la clarté, entre deux pierres immobiles la distance qui se crée s’étire s’allonge sans qu’un ne bouge. Reliés par la distance et le péril que l’un se noie ainsi chaque jour en pleine lumière hors la clarté toujours intact et profilé le péril d’un oiseau broyé par ces infinis de distance qui s’allongent silence entre les pierres immobiles je vois sans varier je vois la vie quitter les abords des pierres se réfugie éparse dans les distances quitte l’entour des pierres tournent sans arrêt aveugles comme toute chose en moi tâtant la terre le temps les tempes battues et ce n’est pas encore la mer / ainsi cela revient jamais même mais prostré debout à genoux le corps sans lieu se noie dans les vagues distances dont je rêve invente la forme et qui vont ainsi s’éloignant en allées / la nuit l’ombre plus que la nuit éveille cela comme si quelqu’un ici savait la mer son poids sa masse son lieu le temps d’où elle naît sans cesser de venir d’aviver de verser un peu d’ombre à chaque venue sous elle sous le sable sous le corps ventre émergé par quel hasard / cela revient ainsi envahir l’un solitaire orphelin pris dans la distance isolé sur sa pierre éloigné sans qu’un ne bouge ne tressaille. Entre eux la distance a grandi sans repos n’en finit pas l’écart entre les planètes immobiles rondes jusqu’alors, informes étoiles éparses au centre périphérie du vide, le péril de se tenir debout sur des ballons roulent sur eux-mêmes notre vie immobile sur elle-même quand la distance agrandie se fait vaste s’étire le mouvement écartelé entre deux pierres immobiles quelque part égarées là nulle part où se rejoindre à la courbe du néant nous éloigne sans même que nos astres dévient d’eux-mêmes de leurs lieux leurs poussières nos pieds creusés de terre pris creux prisé par cela au grand jour enfoui comme la mer dans la nuit enfuie, seul son grondement sa menace jamais enfouie et cela pour toujours se retrouver au seuil du silence perte de vie d’une absence de jours et cela comment vivre sous l’absence des vagues

Lyon 4

Seule on aura beau fredonner oublier sous les draps on n’est jamais la seule ce serait un monde entier la seule seulement seule c’est presque rien pas même rien c’est coucher au bord du fossé ce serait facile de rouler s’y rouler dans le fossé seulement se laisser aller mais si on lâche les bords les draps si on ne tient plus la terre si le fossé s’ouvre on a comme dernière lueur un peu d’amour de sel un peu de cul et c’est ça qui s’agrippe aux bords refuse de rouler refuse le fossé on est reparti pour une vie la même mais sous l’œil de la dernière lueur on recommencera une autre fois encore et encore avec l’oubli de crever l’oubli d’être seule malgré l’amour le sel le cul.

Tout ce qu’il voulait c’est poser la main sur le con des filles chacun a sa lueur oui pourquoi pas poser la main sur le con des filles on a beau se dire seule c’est de naissance, quand il est ailleurs ce n’est pas sur mon con qu’il pose la main alors un peu d’amour de sel de cul on n’y croit plus on a beau se dire ça finira tout ça que chacun mette la main là où il veut on finira quand même un par un par rouler dans le fossé plus la peine de s’agripper aux draps plus le temps même plus l’envie de songer sous l’œil des dernières lueurs amour sel cul on sera pris par le fossé chacun son tour à hurler contre tout à vomir les derniers mots qui vous déchirent la peau le ventre la gorge qui respirent par tous les trous du corps ne vous lâchent pas on est seul enseveli sous le fossé le reste d’amour de sel de cul simplement plus assez forts eux non plus pour refuser le fossé se précipitent aussi derrière toi t’auras beau hurler te taire fredonner c’en sera terminé une fois pour toutes et qu’on n’en parle plus.

Lyon 3

Pourquoi rester on pourrait s’en aller revenir on ne sait pas mais s’en aller se poser dans un lieu un autre et s’y planter le respirer par la peau les yeux clouer le sol à nos semelles s’en charger où qu’on soit infuser les odeurs la lumière l’odeur des pins c’est encore celle de la mer on pourrait quitter les villes azoïques traquer les crevettes et se demander comment ça vit là dans les trous s’y planter jusqu’aux nuits y guetter la peur y traquer la crainte mais debout chevillée au sol même dérobé on s’emporte en tous lieux mais tenir le monde à bout de regards, plus facile face à la mer ça bouge n’en finit pas de venir s’en aller ça nous porte à bout de nerfs à bout de pierres géantes qui résistent à la poussée s’accrochent au fond inconnu s’y plantent quand même ignorantes ça creuse en elles mais d’être là c’est déjà ça on dirait c’est là qu’on pourrait s’en aller se transporter

Lyon 2

Hors les murs à la dérive par un beau jour novembre ils diraient Anna morte est partie épuisée aspirée de si beaux jours encore pourtant prévus tant de jeunesse dans les muscles aussi mais moi je sais Anna a beau marcher se laisse couler happer par la mer la nuit des eaux Anna je sais la nuit entours la nuit n’a pas ce nom nul nom seul un champ hors les murs où tu t’adonnes à sombrer sans résistance à sombrer puisqu’il le faut dirait-on à brasser tout l’air qu’ils soufflent sans toi sans eux n’en savent rien pourtant bienheureux si Anna seule à seule s’engouffre en compagnie des chiens les hurlements des chiens à hurler déchirant la nuit jamais déchirée à hurler poussiéreux sous les étoiles sous la mer retenue au sein des brouillards s’enferme flétrie sur un noeud qui ne cède pas hors leurs murs seulement la pierre l’entrouvre enfoncée dans son poing tari la peau évaporée la peau rien que d’eau et de sel /

vider l’eau vider la mer que tu portes Anna épuiser la nuit cesser de voir au-delà des jours au-delà de toi comme eux regarder sans voir oublier qu’au-delà du soleil au-delà /du ciel /il y a

simplement à nouveau bâtir leurs murs t’y adosser griffer la terre sans penser à demain briser la mer vider la mer touche la nuit mais jamais ne la perce jamais la nuit tranchée à coup de hache tes yeux tes mains acérés qu’ils écartent les murs tranchant la nuit sais-tu Anna dépossédée d’autres armes la nuit te coulera en elle devenue nuit aussi toi invisible à d’autres yeux tu frapperas comme la mer aux rochers se meurtrit blessée sans qu’aucun sang ne coule hors leurs murs éparse la mort sur la mer, goélands algues épaves écorchées sans qu’aucun sang ne coule ne soutient plus aucun regard happé par trop de champs /

un jour on se laisse prendre on prend aussi on remonte une pente on pause on demande à la poussière de rêver on tient grâce, ça ne finit pas non ça s’installe entre le reste dans les trous /

sa main sur mon dos couché allongé n’importe où de préférence cela me tient debout, sous elle je remonte loin je me dis je suis posée sous sa main uniquement pour remonter là précisément jusqu'à ce loin. Parfois je bénis ce loin ça permet de se poser quelque part là de préférence, je me souviens de ce loin déjà la faille où il étend sa main sur quoi me fonder entre sa main et mon dos c’est là qu’il faut essayer avant de buter c’est toujours la même histoire /

Anna sous sa main le soleil est plus marqué chair d’or et de peau et les bleus souviens-toi couchés sur ton dos s’imposent revenue au sein de la terre tu naufrages entre terre et sa main hurlant contre la nuit jamais contrée juste tranchée la nuit pour t’y glisser hors leurs murs entre la terre et sa main frappée contre les rochers portée disparue